L'alimentation collaborative et coopérative, expliquée par deux pionniers

7 Mar 2018

Les économies collaboratives et coopératives ont le vent en poupe. L’alimentaire ne fait pas exception et les initiatives solidaires se multiplient, aussi bien à la campagne qu’en ville. Pour en savoir plus sur ce phénomène, nous avons rencontré deux citadins qui ont lancé des projets dans ce sens, et sont à différents stades de leur développement : Robert Chassang, président du supermarché coopératif Le Panier du 12e qui s’apprête à ouvrir, et Lucie Basch, co-fondatrice de Too Good To Go, la première application mondiale de lutte contre le gaspillage alimentaire.

Des coopérateurs du Panier du 12e recrute des membres dans la cour pavée du lieué de vie Ground Control, par une journée ensoleillée
Le Panier du 12e, recrutant de nouveaux membres au Ground Control. © 20/100

3 questions à Robert Chassang, président du Panier du 12e

Imaginez un magasin bio, où tout coûte 15 à 20% moins cher et dont vous connaissez les clients et employés. C’est le concept du Panier du 12e : un supermarché coopératif et solidaire, autogéré par ses membres qui en sont les seuls clients. Ce lieu, fondé par Robert Chassang - ancien directeur de la stratégie financière chez Orange et psychothérapeute retraité - ouvrira d’ici 2-3 mois dans le quartier parisien de Charonne.

Robert Chassang, président du supermarché collaboratif Le Panier du 12e
Robert Chassang

Sur quelles bases avez-vous conçu ce projet ?

J’avais entendu parler du supermarché coopératif Park Slope de Brooklyn (existant aussi à Paris : La Louve). Plutôt que d'avoir un système pyramidal avec des entrepreneurs qui déresponsabilisent les autres, je trouvais que c'était une belle forme de conciliation du citoyen et du consommateur et c’était dans mes cordes d’exploiter un supermarché. J’ai commencé à rassembler des coopérateurs. Il nous en fallait 400 pour trois raisons : d’abord, nous avions besoin de 40 000 euros pour acheter des frigos, caisses etc… Nous pouvions les obtenir à partir de 400 coopérateurs, car les parts sociales sont à 100 €.

Il en fallait aussi 400 pour couvrir tous les créneaux de travail de 3 heures/mois, prévus au magasin, et pour des raisons de chiffre d’affaires. Nous estimons qu'au démarrage, les 400 coopérateurs achèteront 120 €/mois de marchandises. Une fois les charges déduites, nous aurons une marge de 20%. Comme nous avons en tête l'idée d'un bénéfice à quasi zéro, à mesure que le chiffre d’affaires augmentera, la marge et les prix de vente réduiront.

Quelles sont les vertus de ce projet pour ceux qui y prennent part ?

L’épanouissement passe par notre relation aux autres et ce projet réunit des gens de différentes générations - les 25-35 et 60-70 ans forment la majorité - autour d’un projet commun. Il les responsabilise aussi, car toutes les décisions sont prises par consensus. Nous avons également un conseil de gouvernance élu à 50% et tiré au sort à 50%, garantissant la parité.

À l’origine du projet, il y a aussi la lutte contre la malbouffe et le système industriel qui nous empoisonne. Nous avons prévu d’avoir 70% de bio dans le supermarché et 30% de non bio, pour rester accessibles aux coopérateurs en difficulté financière.

Les membres du Panier du 12e réunissant différentes générations font un pique-nique sur l'herbe
© 20/100

Comment allez-vous vous organiser ?

Nous sommes sur le point de signer un accord avec un bailleur social pour occuper 170 m2 au 65 boulevard de Charonne. Nous bénéficions de l'aide financière de la Mairie de Paris et de la bienveillance de la Mairie du 11e, car nous sommes le Panier du 12e ! Nous songeons à changer de nom.

Dans le magasin, nous aurons entre 2 et 4 créneaux de 3 heures par jour, du lundi au samedi, effectués par cinq employés, selon un roulement. Chacun devra pouvoir tout faire : de la caisse à l'étiquetage en passant par le réapprovisionnement et les paiements aux fournisseurs. Le stock proviendra à ⅓ de paysans proches et le reste, d’une centrale d'achats bio. Il serait compliqué de traiter avec plein de petits producteurs dès le début mais nous voulons développer un maximum de circuits courts.

Nous discutons aussi avec Emmaüs pour travailler avec des sans-abris. Comme nos coopérateurs bénéficiant des minima sociaux, ils ne paieraient pas de parts sociales et recevraient des bons d’achats.

3 questions à Lucie Basch, co-fondatrice de Too Good to Go

Acheter son repas 50-75% moins cher chez Biocoop, à la boulangerie du coin ou même à l’hôtel Mandarin Oriental, c’est le concept de Too Good to Go. L’application anti-gaspillage alimentaire propose à ses utilisateurs de géolocaliser les restaurants autour d’eux et de collecter leurs invendus avant la fermeture, moyennant une commission fixe de 1€ par repas sauvé. Né à Copenhague et Oslo en 2015, ce concept a ensuite été lancé au Royaume-Uni, en Allemagne, en France, en Suisse, aux Pays-Bas et en Belgique par des co-fondateurs de différents pays. Lucie Basch, ancienne ingénieure dans l'agro-alimentaire, dirige le déploiement dans l’Hexagone, un marché prometteur dont la croissance 2017 est de 1600% avec 5000 repas sauvés/jour chez 2500 commerçants.

Lucie Basch, co-fondatrice de l'application anti-gaspillage alimentaire Too Good To Go
Lucie Basch © Too Good To Go

Comment avez-vous lancé et développé ce projet ?

Nous sommes allés rencontrer des restaurateurs à Copenhague et à Oslo pour comprendre ce qui les amenait à jeter. Ils le faisaient plus par facilité car ils avaient beaucoup de travail et ne voulaient pas rester longtemps après la fermeture. Il fallait leur proposer une solution aussi facile que de jeter. L’application a eu beaucoup de succès à Copenhague et Oslo et nous l’avons lancé dans six autres pays.

En France, nous ajoutons une ville par semaine, parfois sous l’impulsion de certains employés, ou futurs employés, motivés pour déployer le concept quelque part, ou sur les suggestions d’utilisateurs qui nous envoient des listes de commerçants qu'ils aimeraient voir sur l’application.

Nous sommes ouverts à tous les restaurateurs, du moment qu’ils ont un besoin. Mais, lorsque nous approchons nous-mêmes des entreprises, nous privilégions les bons produits et le bio.

Trois Iphones avec un plan, une liste de restaurants et une description de restaurant présentent l'application anti-gaspillage alimentaire Too Good To Go
© Too Good To Go

Quelles sont les avantages de ce projet pour les villes et communautés ?

Il y a bien sûr sa dimension écologique à travers la réduction du gaspillage. Nous avons réussi à sauver 3 millions de repas en Europe, ça montre que si chacun agit à son échelle, nous pouvons avoir un impact d'ampleur.

Ne pas jeter bénéficie aussi économiquement aux commerçants et aux utilisateurs qui rachètent leurs invendus et se nourrissent de bons produits pour moins cher.

Au sein de l’entreprise, comme la prise de décision est décentralisée, chaque employé est décisionnaire dans son domaine et responsabilisé, ce qui lui est bénéfique.

Enfin, nous effectuons des maraudes auprès des sans-abri en leur distribuant des invendus nous-mêmes ou par l’intermédiaire d’associations.

Comment allez-vous vous développer ?

Il y a encore largement de quoi faire en B2C. Nous pensons actuellement à l’événementiel, à la restauration collective et aux cantines. Nous avons également en tête de connecter les restaurateurs et producteurs.

En terme d’expansion, nous allons nous concentrer sur l’Europe en 2018, et les prochaines destinations seront sans doute les Etats-Unis, l’Afrique - Le Sénégal notamment où nous avons déjà quelques contacts - et l’Amérique du Sud.

Propos recueillis par Normandie Wells