La Dépêche des Commerçants : NOTO Botanics
23 juin 2020
Pour notre deuxième Dépêche des Commerçants, nous avons pris des nouvelles de Gloria Noto, fondatrice de NOTO Botanics, une marque de produits de beauté basée à Los Angeles. Elle nous livre son expérience en toute transparence, et revient sur l’ouverture de sa boutique en décembre dernier, sa fermeture quelques semaines plus tard, ou encore ses sentiments mitigés à l’idée de rouvrir à nouveau.
14 mars
Chaque matin à la même heure, le soleil illumine les vitrines de ma boutique et donne vie à tout ce qui s’y trouve. J’aime particulièrement les formes éphémères que créent ses reflets sur les murs fraîchement repeints. Les flacons en verre prennent vie lorsque la lumière se reflète sur leur contenu, qu’il s’agisse d’un jaune doré chaleureux, de teintes vertes fraîches ou de décorations scintillantes que je redécouvre à chaque fois. Je salue mon équipe en ouvrant la porte, mais quelque chose a changé. Depuis quelques jours, on parle d’un virus qui nous obligerait à fermer notre boutique tout juste ouverte. Je ne sais pas où j’en suis, ni comment parvenir à démêler le vrai du faux. En tout cas, je sens que quelque chose se prépare.
Depuis ce matin, tout a changé. J’ai demandé à mon équipe de fermer la boutique, enfin je crois… Tout est un peu flou en ce moment. Je ne sais pas ce que je suis censée faire. Je me sens comme endormie, anesthésiée. En même temps, je ne suis pas en train d’essayer de contrôler la situation. Je veux faire ce qu’il y a de mieux, mais qu’est-ce que cela signifie pour mon équipe, pour ma boutique, pour moi ?
15 avril
J’ai l’impression que je sors de ma cachette. Je laisse de côté mes pensées et ce quotidien à la fois reposant et confus. Depuis un mois, j’ai du mal à me faire à l’idée que nous avons dû fermer nos portes. J’ai l’impression que je commençais seulement à réaliser ce que ça faisait de voir NOTO se matérialiser. Du virtuel au monde réel. J’ai lancé NOTO car j’avais besoin de créer du lien. De me sentir vivante. De voir des visages et de parler de ce qu’on pouvait faire pour satisfaire les gens. D’apporter un peu de joie à ce monde. De retranscrire un mode de vie que certains aimeraient adopter. Et en un instant, le lien que je souhaitais créer pour les autres a été stoppé dans son élan. Un lien qui s’est créé à partir de quelque chose de totalement inattendu. Au tout début, je n’arrivais pas à accepter que l’on ferme nos portes. Alors j’ai fait comme si de rien n’était pendant un long moment.
Mais aujourd’hui, j’ai l’impression d’être enfin de retour. Je me souviens des raisons qui m’ont poussé à travailler autant au début de cette aventure, et à quel point c’est agréable d’avoir un espace physique qui représente à la fois mon entreprise et ma communauté. Parfois, il faut savoir s’arrêter. J’ai sans doute fait plus qu’une pause, peut-être même que j’ai essayé d’ignorer la situation : qui sait ! En tous cas, je sais que j’en avais besoin. Et je commence à voir le bout du tunnel, inspirée et motivée pour continuer. Les idées fusent et je repense entièrement la manière de fédérer une communauté. Si cette période a servi à quelque chose, c’est à me donner une opportunité incroyable de voir comment faire différemment, changer, grandir, évoluer et me recentrer.
1er mai
Aujourd’hui, c’est la première fois que je vais faire mes courses depuis longtemps. C’est même peut-être ma première sortie en deux mois ! Cookbook a toujours été l’un de mes endroits préférés : ils vendent aussi bien des produits d’agriculteurs du coin que des spécialités d’artisans du monde entier. Soutenir ce genre d’entreprises est important pour moi. Cette visite était étrange, mais j’ai pris beaucoup de plaisir à y aller. Tous ces nouveaux protocoles me font penser à un avenir qui relève de la science-fiction. Bien sûr, j’ai dû faire la queue dehors avec un masque — ils laissent seulement entrer deux personnes à la fois. Et quand je suis entrée, j’ai dû parler aux vendeurs le visage couvert, en tentant de sourire du mieux que possible, juste avec les yeux.
Mais je discute, je prends des nouvelles et on me demande comment je vais. Je suis dans mon quartier, je soutiens des petits commerces et j’ai hâte de rapporter ce que j’ai acheté chez moi pour en profiter. Je me suis beaucoup interrogée la semaine dernière : comment continuer à rêver d’une boutique axée sur une communauté, alors que je ne suis même pas sûre de savoir à quoi ma communauté ressemble ? Peut-être qu’une boutique doit juste ouvrir, être un rayon de soleil dans la semaine d’un client. Voire même l’une des rares interactions qu’il aurait eu au cours de cette semaine ou de ce mois. Peut-être que je dois être là et pouvoir soutenir ma communauté de la manière la plus simple qui soit, en rouvrant ma boutique.
20 mai
J’ai déverrouillé le rideau de fer, ouvert la porte et désactivé le système d’alarme. Difficile de croire que ça fait déjà plusieurs mois que j’ai fait ces gestes pour la dernière fois : les habitudes reviennent vite. Il y a de la poussière sur les étagères et une araignée a élu domicile dans un coin, mais je suis vraiment heureuse d’être là. Comme d’habitude, le soleil inonde la vitrine de lumière tandis que je prends une grande inspiration. Plus que jamais, je me souviens de ce qui m’a donné envie d’ouvrir une boutique. Pour permettre aux gens d’intégrer une communauté dont j’aimerais moi-même faire partie. Pour rejoindre l’univers inspirant des artisans qui font les choses un peu plus lentement, avec plus de conscience, et soutenir ceux pour qui les relations humaines comptent.
La semaine dernière, j’ai décidé que nous allions rouvrir en juin. Je ne sais pas si ça se fera, quelles réglementations seront mises en place ou levées. Je suis prête à encaisser les coups. Bien sûr, je ne m’attends pas à voir une queue devant notre boutique, mais j’ai hâte que vous regardiez ma vitrine en faisant votre jogging, en passant en voiture… Que vous voyiez que nous sommes ouverts et que nous sommes là pour vous — même si c’est juste pour acheter un soin pour la peau. Mais au milieu de tout ça, la chose qui me réjouit le plus en ce moment est d’être enfin de retour.