La Dépêche des Commerçants : Notting Hill Fish Shop

16 Apr 2020

À l’occasion de cette nouvelle chronique mensuelle, nous documenterons la vie des commerçants de quartier à travers leur journal de bord. Leurs histoires nous montrent que même en temps de crise, l’esprit entrepreneurial n’a pas dit son dernier mot.

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Illustration by Erin Aniker

Dans ce premier volet, Chris D’Sylva du Notting Hill Fish Shop nous explique comment lui et son associé Frederick Lindfors ont dû s’adapter pour poursuivre leur activité malgré le confinement.

Dimanche 22 mars

Cela fait plus de dix ans que Fred n’a pas travaillé un dimanche alors forcément, il n’était pas ravi de me voir ce matin. J’imagine que les disputes sont inévitables… Je suis un Australien qui a fait carrière dans la publicité et lui, un poissonnier old school passé par Kensington Palace. Il est un peu têtu et moi aussi — et la plupart du temps, notre duo fonctionne. Les dimanches matin sont une corvée mais les conséquences de ce coronavirus sont de plus en plus folles, alors c’est exactement ce dont on avait besoin pour tenir le coup. Je préfère commencer à l’aube plutôt que de fermer boutique.

Lundi 23 mars

Boris a annoncé le confinement aujourd’hui. Quand je travaillais dans la pub, j’étais toujours celui qui avait la solution à tout, mais je dois avouer que cette annonce m’a mis à genoux. Pour le dire autrement : tenir une poissonnerie ne vas pas être facile maintenant que l’industrie de la pêche est mise à l’arrêt.

Mardi 24 mars

Après de nombreux coups de fil, j’ai réussi à trouver quelques pêcheurs volontaires pour sortir en mer et nous approvisionner. Sauf qu’en contrepartie, nous devons leur acheter tout ce qu’ils attrapent : aujourd’hui, c’était 200 kilos de homards. Je suis de plus en plus anxieux et je me demande comment je vais bien pouvoir réussir à vendre tout ça… Tout en étant conscient qu’avoir trop de homards sur les bras est vraiment le problème le plus « Notting Hill » qui soit.

Mercredi 25 mars

Aujourd’hui, j’ai bien aimé papoter avec les habitants du quartier. Je commence à me demander si la poissonnerie ne remplace pas notre bon vieux pub. Un couple a évoqué à quel point la vie d’un commerçant devait être glamour. Je leur ai répondu qu’ils n’avaient pas la moindre idée de l’organisation infernale que cela demandait. On n’a pas bien assuré sur deux jobs aujourd’hui : pour rattraper le premier, j’ai conduit jusqu’à Connaught Square pour m’excuser avec un cadeau façon « West London », à savoir une côte de bœuf. Quant au second, on a raté une collecte de poisson dans les Cornouailles. Il est maintenant temps de rentrer chez moi pour recommencer à 5 heures demain matin. « Glamour » n’est vraiment pas le mot.

Vendredi 27 mars

J’ai l’impression que je passe une sale journée depuis un mois. Je ne suis pas quelqu’un d’émotif, mais je suis tellement crevé que la moindre contrariété me fait partir au quart de tour. Aujourd’hui, nous avons réussi à vendre le reste de nos 200 kilos de homard et j’ai dû faire une pause. Être émotif quand il s’agit d’un homard, c’est une première pour moi. J’ai la chance de pouvoir rester ouvert donc ce n’est pas le moment de se vanter, mais je ne peux pas m’empêcher d’être fier que le Notting Hill Fish Shop soit au top. Tout le quartier nous adore, les ventes explosent et nous avons embauché des gens talentueux qui ne pouvaient plus travailler à cause du coronavirus. Et même si je ne dors plus et que je n’ai plus de vie sociale, je sais au moins que je suis prêt à faire ce qu’il faut pour qu’on reste ouverts et pour garder nos emplois.