JEM crée des bijoux éthiques, de la mine à l’écrin

6 Nov 2018

Dans le monde de la joaillerie, les apparences sont parfois trompeuses. L’éclat d’un bijou en or ou la pureté d’un diamant masquent parfois une réalité sombre : celle d’une industrie minière destructrice, pour les hommes et pour l’environnement. Dorothée Contour, CEO de JEM, nous dévoile comment elle s’engage pour créer des bijoux éthiques, aussi beaux que responsables.

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© JEM

Comment êtes-vous entrée dans le monde de la joaillerie ?

Je ne viens pas de ce milieu : je suis diplômée d’HEC puis j’ai travaillé dans un cabinet de stratégie. Mais j’ai toujours été passionnée par le commerce équitable, le développement durable, et j’ai eu envie, dans mon travail, de chercher des solutions, des modèles économiques qui intègrent ces dimensions.

J’ai ensuite accompagné des entrepreneurs sociaux et découvert Fairmined, la filière de l’or éthique. J’ai eu un coup de cœur pour cet or car il m’a fait prendre conscience des enjeux dramatiques de l’industrie minière, en particulier de l’or et des pierres précieuses. Ces matières premières sont très utilisés en joaillerie, un secteur qui évoque la beauté, l’émotion. Les bijoux sont associés à des moments de vie très intimes, chacun y met sa propre histoire. J’ai été frappée par la contradiction énorme entre les conditions d’extraction de ces matières et le rêve porté par la place Vendôme.

L’or Fairmined m’a non seulement ouvert les yeux, mais il m’a apporté une solution conçue sur le terrain. Cet or est encore plus beau grâce au progrès social et humain qu’il porte.

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© Appear Here

Que se cache-t-il derrière les bijoux que nous portons ? Dans quelles conditions l’or qui les compose est-il extrait ?

Il y a 1 500 tonnes d’or extraites chaque année. 90% provient de mines industrielles et 10% de mines artisanales.

Les mines d’or industrielles posent une question écologique : elles participent à la destruction d’écosystèmes, elles utilisent énormément d’eau et d’énergie pour creuser, extraire et purifier les minerais. Elles emploient peu de main-d’œuvre car elles sont très mécanisées, mais leur construction entraîne souvent des déplacements de population, des expropriations… et les communautés locales ne bénéficient pas, ou très peu, des retombées économiques.

Les mines d’or artisanales ne représentent que 10% de la production d’or mais elles emploient 90% de la main-d’œuvre du secteur et font vivre 60 millions de personnes. Les conditions de travail y sont dramatiques. De nombreuses mines artisanales sont exploitées de manière illégale, elles sont aussi le théâtre de trafics humains et de drogue, de travail forcé, de travail des enfants… Et la sécurité des mineurs n’est pas assurée. Ces mines, plus petites, n’ont pas accès au marché international de l’or et dépendent de nombreux intermédiaires, ce qui favorise la corruption. Elles posent aussi un problème environnemental. Le mercure et le cyanure sont utilisés de manière incontrôlée, sans protection pour les mineurs et pour l’environnement. Dans certaines régions, on ne trouve pas d’eau potable à moins de 100 km autour de la mine.

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© JEM

En quoi l’or utilisé par JEM est-il éthique ?

Les bijoux JEM sont créés avec de l’or éthique car son extraction respecte les standards du label Fairmined, développé par l’Alliance for Responsible Mining (ARM). L’or est extrait dans des mines légales, gérées par les mineurs réunis en coopératives. Les droits de l’homme et le droit du travail y sont appliqués pour assurer leur sécurité et leur dignité.

Sur le plan environnemental, Fairmined encadre l’utilisation des produits chimiques comme le mercure, pour protéger les mineurs mais aussi les sols et les eaux autour des mines.

Fairmined s’inscrit enfin dans une logique de commerce équitable. Il garantit un prix minimum de vente de l’or labellisé, dont 90% revient aux mineurs. Cela permet aux communautés minières, souvent pauvres, de recevoir un revenu plus élevé. Il engage aussi les acheteurs de cet or à verser la prime Fairmined à ARM, d’un montant de 4 dollars par gramme d’or. Elle est utilisée pour accompagner de nouvelles mines vers la certification, et pour soutenir des projets de développement humain portés par les communautés minières, comme la construction de routes, d’infrastructures scolaires, de centres de santé.

Vos collections sont composées de pièces en or et diamants. Pourquoi pas de pierres de couleur ?

On a commencé à utiliser les diamants cet été. C’est la pierre la plus demandée et sans diamant éthique, notre offre manquait de quelque chose. Trouver des diamants qui correspondent à notre engagement a pris beaucoup de temps. C’est finalement le diamant de culture qui répond le mieux à nos attentes.

Ce diamant était notre priorité. Les pierres de couleur, c’est la prochaine étape ! On veut être certain de la qualité de ce que l’on propose et on le fera dès qu’on sera prêt.

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© Appear Here

Un diamant créé en laboratoire est-il identique à un diamant naturel ?

Un diamant de culture est un vrai diamant, c’est-à-dire du carbone pur cristallisé. Sa composition chimique, ses propriétés physiques, optiques, sont identiques à celles d’un diamant de mine. Seule son origine change.

D’ailleurs, il se forme de la même façon que dans la nature. On ne fabrique pas du diamant, on ne fait que recréer les conditions pour que le carbone se cristallise. Et en laboratoire comme dans la nature, il peut se former de deux manières : soit par la technique de haute pression et haute température (HPHT), comme lorsqu’un diamant se forme au centre de la Terre, soit par la technique de la chemical vapor deposition (CVD), comme lorsqu’il se forme dans l’univers. Un diamant de laboratoire n’est pas une pierre d’imitation. C’est un véritable diamant.

JEM a ouvert plusieurs boutiques éphémères. Vos clients sont-ils sensibles à votre démarche ?

Oui, c’est d’autant plus vrai que nos produits évoquent la beauté et qu’elle est présente à tous les niveaux, de la fabrication au produit final. Mais JEM s’adresse à tous. Certains clients cherchent un bijou éthique et nous choisissent aussi grâce au design de nos pièces. D’autres sont séduits par notre esthétisme avant de découvrir notre engagement éthique.

Nous avions le projet d’ouvrir notre boutique, et ces boutiques éphémères nous ont permis de tester un quartier, un lieu, de créer notre expérience client. Certains clients venaient pour JEM, d’autres nous ont découvert en boutique. Mais tous étaient sensibles à notre démarche.

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© Appear Here

Créer sa marque, est-ce une manière efficace de faire changer les choses ?

Je n’ai jamais eu envie de l’entrepreneuriat pour l’entrepreneuriat. Quand j’ai commencé mes études, je ne voulais pas créer mon entreprise. Mes parents sont entrepreneurs donc j’ai été exposée très jeune aux sacrifices que cela exige. Et j’avais envie d’avoir de l’impact rapidement plutôt que de créer une petite marque qui mettrait des années à émerger.

C’est mon souhait de créer une joaillerie éthique qui m’a conduite vers l’entrepreneuriat. Je voulais aussi présenter le luxe comme quelque chose d’accessible à tous à un moment de sa vie. Car le luxe, c’est une belle matière, du temps, du savoir-faire. Ma solution a été l’entrepreneuriat car cela permet d’aller jusqu’au bout de son engagement. On applique notre philosophie de manière globale, de la gestion de l’entreprise aux écrins de nos bijoux.

Mais pour faire changer les choses, il faut que tous les acteurs s’engagent : les entreprises existantes, pas seulement les nouvelles marques.

Un conseil à tous ceux qui voudraient se lancer dans l’entrepreneuriat engagé ?

Persévérer. L’entrepreneuriat est un chemin difficile et la clé est de garder cette capacité à rebondir, à se remettre en question et à rester agile.

Si l’on choisit l’entrepreneuriat engagé, il ne faut pas perdre de vue le “pourquoi”, la vision, l’ambition de départ. C’est le sens que l’on met dans son travail et dans la façon dont on travaille. La raison d’être d’un projet est comme une étoile polaire, elle permet de prendre les bonnes décisions. Il y aura toujours une tension entre la performance économique, nécessaire pour exister sur le marché actuel, et la performance sociale et environnementale. Ne pas perdre de vue ces deux objectifs et faire de cette tension une opportunité plutôt qu’une contrainte, c’est essentiel pour durer et avoir un impact.

Propos recueillis par Clémence Gruel