Lancer un restaurant : du pop-up au permanent

14 Jun 2017

Quand le célébrissime restaurant danois Noma, a.k.a. le meilleur restaurant du monde, a annoncé son intention d’ouvrir un pop-up de sept semaines à Tulum au Mexique, il n’a fallu que deux heures pour qu’il ne reste plus une table de libre. Si cette annonce n’a pas échappé à une vague de critiques – avec des menus à 600 dollars – elle confirme aussi que les restaurants éphémères sont bien plus qu’une simple tendance.

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Pidgn

Des super clubs aux food-trucks en passant par les dîner immersifs, les expériences culinaires éphémères occupent désormais une place à part sur la scène foodie. Contrairement à l’approche de Noma, cependant, le pop-up sert en général de tremplin : conception d’une idée, location d’un espace éphémère, utilisation des réseaux sociaux pour développer sa base client, test d’un menu et croissance progressive – ou fin de l’aventure.

Dans des villes comme Paris, Londres et New York, où les loyers sont élevés, la compétition très intense et où le choix d’un restaurant relève presque du sacerdoce, le modèle « pop-up-restaurant permanent » semble particulièrement pertinent. Mais qu’en pensent ceux qui ont tenté l’aventure ?

Commencer petit et grandir progressivement

« Je n’avais aucune envie d’ouvrir un restaurant – je ne voyais rien de plus stressant que le boulot de chef. J’avais tenté l’aventure du food-truck, mais ça c’était mal passé et je savais quelles erreurs éviter. J’organisais des supper clubs, mais je ne pensais pas qu’ils seraient le début d’une nouvelle aventure. Et puis un jour je me suis dit que je pourrais ouvrir un restaurant, sans en être le chef, et l’idée ne m’a plus quittée », explique James Ramsden, l’un des membres du duo à l’origine de Pidgin, un restaurant étoilé célèbre pour son menu qui change chaque semaine.

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Clove Club

« On a commencé Pidgin assez modestement, dans un petit espace de Hackney, à Londres. Il n’y avait que très peu de passage et nous n’étions ouverts que les week-ends. Pareil pour le menu : au début, c’était un menu de supper club unique à 4 plats et nous y avons ajouté de nouveaux plats très intéressants au fur et à mesure. Ça fait maintenant 97 semaines que nous sommes ouverts et nous avons servi plus de 500 plats, sans jamais nous répéter. » Aujourd’hui, James et son associé Sam Herlihy se servent de ce qu’ils ont appris pour ouvrir Magpie, leur nouveau restaurant permanent au cœur de Londres. « On n’aurait jamais pu se lancer directement avec un espace aussi grand et un menu si détaillé. Et puis ça aurait été un suicide financier ! »

Les supper clubs ont donné un nouveau souffle à l’industrie en permettant aux jeunes chefs de se faire la main dans les cuisines de pubs ou de lieux décalés sans risquer de mettre la clé sous la porte. À Londres, comme à Paris, on ne compte plus le nombre de supper clubs devenus restaurants.

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La culture de la street-food

Les règles de jeu ont bien changé et l’ouverture d’un restaurant n’a plus grand-chose à voir avec le passé. Les stands de street-food et les food-trucks ont complètement démocratisé la scène culinaire pour permettre aux foodies les plus passionnés de se lancer en prenant moins de risques.

« Même à Paris, les gens commencent à réaliser que la culture de la street-food offre une manière plus décontractée de manger – à l’opposé de l’idée reçue toute parisienne selon laquelle un menu de qualité doit être préparé par un chef dans un restaurant permanent », explique Sabrina Goldin, à l’origine du food-truck argentin Asado Club avec son compagnon Stéphane Abby. « La street-food a démocratisé la nourriture de qualité. Vous pouvez offrir une nourriture simple, de qualité, à un prix raisonnable. Et ça vous permet d’aller à la rencontre des clients et de cuisiner de manière plus honnête. Impossible de se cacher derrière de hauts murs ou d’immenses cuisines. Ce que vous voyez est ce que vous mangez ! »

En plus de leur stand de street-food, Sabrina et Stéphane ont lancé une boutique à empanadas de 20 mètres carrés près du Canal Saint-Martin, et se préparent à ouvrir leur premier restaurant permanent, Carbón, dans le Marais.

« Nous avons travaillé dans des conditions très difficiles : sous la pluie, avec des rushs imprévus et sans personnel, ce qui vous prépare vraiment à tout. Les restaurants suivent un protocole plus strict. Nous sommes très impatients d’avoir notre propre espace où les gens pourront s’asseoir pour profiter du service – parce que nous savons bien à quel point le service est important à Paris ! »

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Juma

Toutes les saveurs du monde

Les pop-ups et la street-food ont aussi ouvert les portes des villes du monde aux cuisines les plus exotiques et les plus originales.

« J’ai grandi en mangeant des plats iraquiens. Mon père, originaire de Mossoul, prépare les meilleurs dolma et kubba du monde, nous raconte Philip Juma, qui a créé Juma Kitchen, un supper club londonien au succès grandissant depuis quelques années. Je travaillais dans la gestion de patrimoine. J’avais beaucoup de mal à satisfaire mes envies de cuisine iraquienne donc j’ai décidé de remédier à ça. »

Ce chef autodidacte a d’abord eu du mal à se faire payer pour sa cuisine. En organisant des supper clubs, il a pu apprendre, recueillir du feedback et gagner en confiance derrière ses fourneaux. « Cuisiner à la maison n’a rien à voir avec cuisiner pour 40 ou 60 personnes. En travaillant dans plusieurs cuisines, j’ai dû faire face à des problèmes différents, que ce soit un four inutile ou une friteuse caractérielle, et j’ai fait quelques erreurs. Aujourd’hui, j’essaie de partir en reconnaissance avant l’événement pour limiter les risques. J’ai aussi investi dans mon propre équipement et je me suis entouré d’une équipe du tonnerre. L’expérience est vraiment géniale et mes supper clubs se jouent à chaque fois à guichets fermés – en juin, vous pouvez me trouver chez TT liquor dans le cadre du London Food Month. J’envisage aussi d’ouvrir un restaurant permanent l’année prochaine. »

Ouvrir un restaurant n’est jamais facile, quelles que soient les circonstances. Des logistiques d’approvisionnement au budget en passant par la mise en place d’un service irréprochable, la liste des choses à prendre en compte ne cesse de s’allonger. Ceux qui réussissent, doivent croire en leur concept et être vraiment passionné par leur projet.

Que ce soit avec un stand de marché ou des dîners immersifs payants, les outils et les ressources sont désormais disponibles pour les foodies les plus passionnés. Tentés par l’aventure ? Qui sait, ça pourrait bien vous mener à votre première étoile. »

Texte : Lisa Roolant