Henri Bureau - l’homme qui plantait des fermes en ville

18 Oct 2017

Des salades et des poules sur le bitume ! Les villes du futur pourraient devenir autosuffisantes grâce à l’agriculture urbaine. Plus qu’une nouvelle insolite, c’est une nécessité car, d’ici 2050, il faudra alimenter plus de 9 millions d’humains, dont 70% en ville. On estime que le monde aura besoin de 50% d'énergie, 40% d'eau propre et 35% de nourriture en plus dans les 15 ans à venir.

« Nous produisons en masse des aliments peu coûteux, dont le stockage et le transport s’effectuent à travers les océans et les continents. La nourriture bon marché a un coût majeur pour les gens et la planète », explique Simon Caspersen de SPACE10 - laboratoire du futur mode de vie urbain, appartenant à Ikea et situé à Copenhague.

Soucieuses de l’environnement et de leur santé, de nombreuses personnes deviennent végétariennes et locavores. Certaines produisent même leurs propres aromates et légumes bios, dans des potagers d’intérieur hydroponiques, comme ceux de Prêt à Pousser. Des substrats remplacent la terre (billes d’argiles, paille, son de blé) et sont alimentés via une eau approvisionnée en nutriments et de la lumière LED.

Potager Prêt-à-Pouser
© Prêt-à-Pousser

Cette démarche s’appuie sur la permaculture, une philosophie de vie, inspirée des ecosystèmes naturels et savoir-faire traditionnels, visant à concevoir des projets harmonieux, dans un environnement sain et auto-suffisant. Elle est la base de multiples initiatives, notamment les restaurants et lieux de vie possédant leur propre potager, tels que La REcyclerie à Paris, ou les fermes urbaines, lancées par des associations comme Les Incroyables Comestibles et Les Cols Verts.

Henri Bureau - co-président de l'Université Populaire de Permaculture - est engagé aux côtés des Incroyables Comestibles et des Cols Verts. Il nous explique comment l’agriculture urbaine peut conduire à l’autosuffisance de villes comme Albi, où il vit.

Henri Bureau des Incroyables Comestibles
Henri Bureau ©Incroyables Comestibles

Comment l’association des Incroyables Comestibles s’organise-t-elle pour planter en ville ?

Nous cherchons des espaces disponibles ou des groupes qui en trouvent viennent à nous et nous demandons à la collectivité ou aux propriétaires l’autorisation de les cultiver. Ensuite, chacun peut venir récolter, ce ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui ont planté ! La philosophie des Incroyables Comestibles c’est : « Nourriture à partager, servez-vous c'est gratuit ». Nous plantons pour la communauté humaine et espérons entraîner d’autres personnes grâce à la vertu de l'exemplarité.

Potager en palettes avec écriteau Nourriture à partager
© La ruche qui dit oui

Les plans d’autosuffisance alimentaire des villes incluent-ils la culture céréalière et l'élevage ?

L'autosuffisance alimentaire vise à produire sur place tout ce qui peut l’être et l’étude préalable à cette transition permet de décider quelles catégories d’aliments sont inclus. Avec Les Incroyables Comestibles, nous ne cultivons que des fruits et légumes dans une démarche de partage, tandis que la mouvance des Cols Verts permet la création de fermes urbaines de quartier et d’emplois. La première est à Valencienne et compte huit employés. A Albi et sa région, quatre verront le jour dans les prochains mois et courant 2018, notamment de part et d’autre de la rocade, aux portes de la ville. Elles seront maraîchères et animalières et à la fois des chantiers d’insertion et des centres de formation.

Quelles sont les techniques d’agriculture urbaine et de permaculture ?

Il en existe beaucoup, par exemple l’aquaponie (combinant la culture de plantes en hydroponie et l'élevage de poissons dont les déjections servent de nutriments naturels), les plates bandes verticales, les palettes à différents étages (permettant un bon rendement sur de petites surfaces) et le bois raméal fragmenté, particulièrement souple sur lequel poussent des champignons qui améliorent le sol. C'est une technique d'aggradation et non de dégradation.

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Serre aquaponique © Gotham Greens

Quelles sont pour vous les villes modèles en matière d’agriculture urbaine ?

Il y a eu d’abord Détroit, qui était en détresse économique avec la disparition des constructeurs automobiles, et a commencé à beaucoup planter sur les toits. A Drummondville, au Québec, n'importe quel citoyen peut venir planter dans l’espace public. A Montréal, des citoyens armés de marteaux-piqueurs ont retiré le macadam pour planter des salades, grâce à des équipements fournis par la ville.

A Lausanne en Suisse, l’action des Incroyables Comestibles a été bénéfique et la ville a salarié deux bénévoles. Même chose à Bayonne. A Paris, on trouve de nombreux espaces d’agriculture urbaine dans le 19e et le 18e, notamment sur les toits rue Doudeauville. Il y a aussi les ruches sur les toits de l’Opéra et celles du Rucher-école du Jardin du Luxembourg.

Potagers sur les toits de Paris avec la Tour Eiffel au loin
© L'Obs

Y a-t-il un intérêt à produire en ville plutôt qu’à la campagne ?

Oui, on me dit souvent : « Je ne veux pas manger des salades qui ont poussé dans la pollution ». Mais, pour une même salade bio, je préfère celle de la ville à celle qui pousse à la campagne, à côté d’un voisin qui contamine la terre autour de lui en utilisant des pesticides, alors que ceux-ci sont interdits dans les jardins publics français. De plus, on trouve en ville 3000 à 6000 espèces de fleurs, ce qui est plus diversifié que dans certains départements et donc meilleur pour les abeilles. Le miel parisien a, par conséquent, autant de nutriments que celui de la montagne.

Ruches Toits de Paris
© Miel de Paris

Comment voyez-vous l’agriculture urbaine se développer dans le futur ?

Il faut éduquer le public. C’est ce que les Cols Verts essaient de faire à travers des formations et initiatives comme Kiloupoule qui permet aux entreprises et particuliers de louer une poule. Puisque celles-ci peuvent non seulement produire des oeufs mais chaque poule peut consommer 146 kilos de déchets ménagers par an, ce qui permet de faire des économies de ramassage. D’un point de vue global, il faut se mettre en route. Les Incroyables Comestibles travaillent par exemple actuellement avec Ecocert à la création d'un label Villes et Villages Comestibles de France. Il ne faudra pas être autosuffisant pour l’obtenir mais être en chemin...

Propos recueillis par Normandie Wells